martes, 6 de noviembre de 2012

Un homme venu d'une autre durée



Hace mucho tiempo que no escribo, porque de tiempo ando mal y de inspiración un poco peor. Pero ayer en clase de francés leí este texto que me ha recordado mucho a mi llegada a Alemania. Sin ser la mitad de dramática, por supuesto.

Si tenéis un ratito y medio entendéis el francés, echadle un vistazo. O buscad la traducción en Google, que la encontraréis.

Los comienzos son siempre duros, y siempre empezamos solos. Invisibles. Transparentes.

"Il a la peau brune, des cheveux crépus, des grandes mains calleuses noircies par le travail. Son visage sourit et son front dessine des rides serrées. Il a quarante ans peut-être moins.
Cet homme, habillé de gris, a pris le métro à la station Denfert- Rocherau, direction Porte-de-la-Chapelle.

D’où vient-il ? Peu importe ! Son visage, ses geste, son sourire disent assez qu’il n’est pas d’ici. Ce n’est pas un touriste non plus. Il est venu d’ailleurs, de l’autre côté des montagnes, de l’autre côté des mers. Il est venu d’une autre durée, la différence entre les dents. Il est venu seul. Une parenthèse dans sa vie. Une parenthèse qui dure depuis bientôt sept ans. Il habite dans une petite chambre, dans le dix-huitième. Il n’est pas triste. Il sourit et cherche parmi les voyageurs un regard, un signe.

Je suis petit dans ma solitude. Mais je ris. Tiens, je ne me suis pas rasé ce matin. Ce n’est pas grave. Personne ne me regarde. Ils lisent. Dans les couloirs, ils courent. Dans le métro, ils lisent. Ils ne perdent pas de temps. Moi, je  m’arrête dans le couloirs. J’écoute les jeunes qui chantent. Je ris. Je plaisante. Je vais parler à quelqu’un, n’importe qui. Non. Il va me prendre pour un mendiant. Qu’est-ce qu’un mendiant dans ce pays ? Je n’en ai jamais vu. Des gens descendent, se bousculent. D’autres montent. J’ai l’impression qu’ils se ressemblent.  Je vais parler à ce couple. Je vais m’assoir en face de lui, puisque la place est libre, et je vais lui dire quelque chose de gentil : Aaaaa… Maaaaa…. Ooooo… Ils se lèvent et vont s’installer à l’autre bout du wagon. Je ne voulais pas les embêter. Les autres voyageurs commencent à me regarder. Ils se disent : quel homme étrange ! D’où vient-il ? Je me tourne vers un groupe de voyageurs. Rien sur le visage. La fatigue. Je gesticule. Je souris et leurs dis : Aaaaa… M aaaaa… Ooooo … Il est fou. Il est saoul. Il est bizarre. Il est peut-être dangereux. Inquiétant. Quelle langue est-ce ? Il n’est pas rasé. J’ai peur. Il n’est pas de chez nous, il a les cheveux crépus. Il faut l’enfermer .Qu’est-ce qu’il veut ?

Rien. Je ne voulais rien dire. Je voulais parler. Parler avec quelqu’un. Parler du temps qu’il fait. Parler de mon pays : c’est le printemps chez moi ; le parfum des fleurs ; la couleur de l’herbe ; les yeux des enfants ; le soleil ; la violence du besoin ; le chômage ; la misère que j’ai fuie.
On irait prendre un café, échanger nos adresses…

Tiens c’est le contrôleur. Je sors mon ticket, ma carte de séjour, ma carte de travail, mon passeport. C’est machinal. Je sors aussi la photo de mes enfants. Ils sont trois, beaux comme des soleils. Ma fille est une gazelle ; elle a des diamants dans les yeux. Mon aîné va à l’école et joue avec les nuages. L’autre s’occupe des brebis.

Je montre tout. Il fait un trou dans le ticket et ne me regarde pas. Je vais lui parler. Il faut qu’il me regarde. Je mets ma main sur son épaule. Je lui souris et lui dis : Aaaaa… Maaaaa… Ooooo… Il met son doigt sur la tempe et le tourne. Je relève le col de mon pardessus et me regarde dans la vitre :

Tu es fou. Bizarre. Dangereux ? Non. Tu es seul. Invisible. Transparent. C’est pour cela qu’on te marche dessus. Je n’ai plus d’imagination. L’usine ne s’arrêtera pas. Il y aura toujours des nuages sur la ville. Dans le métro, ce sera l’indifférence du métal. C’est triste. Le rêve , ce sera pour une autre fois. À la fin du mois, j’irai à la poste envoyer un mandat à ma femme. À la fin du mois, je n’irai pas à la poste. Je retourne chez moi.

Il descend au terminus, met les mains dans les poches et se dirige, sans se presser, vers la sortie."

Tahar Ben Jelloun, Les Amandiers sont morts de leurs blessures. Maspéro, 1976.